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Tour de vis en vue pour le financement de l'apprentissage, l'inquiétude monte

DÉCRYPTAGE. France Compétences a décidé cet été de baisser en deux temps le niveau de prise en charge des contrats d'apprentissage, dans l'optique de diminuer les écarts constatés entre les "coûts-contrats" et les coûts réels observés dans les centres de formation. Les acteurs craignent que cette décision vienne plomber l'excellente dynamique de l'apprentissage depuis 2020, mais dont le coût est très important pour les finances publiques.

À une semaine de la rentrée scolaire, l'excellente dynamique de l'apprentissage va-t-elle durer encore longtemps ? Le 30 juin dernier, le conseil d'administration de France Compétences, l'instance nationale de gouvernance de la formation professionnelle et de l'apprentissage qui assure notamment le financement et la régulation du système, a adopté une délibération recommandant de baisser en deux temps le niveau de prise en charge des contrats d'apprentissage.

Une décision censée diminuer les écarts constatés entre les "coûts-contrats", c'est-à-dire les crédits de l'État alloués aux établissements et dont le montant varie suivant le niveau de diplôme et le secteur d'activité visées par leurs formations, et les coûts réellement observés dans les CFA (centres de formation des apprentis). Censés compenser les frais d'accompagnement des jeunes, ces financements s'avèreraient donc trop élevés : une procédure de révision des niveaux de prise en charge des contrats initiée en décembre 2021 a effectivement permis de constater un écart de 20% en moyenne entre les coûts-contrats et les coûts réels des formations, avec des différences "très hétérogènes selon les certifications".

Ce à quoi France Compétences, organisme issu de la loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" de 2018, veut remédier en consolidant le système d'apprentissage. Car celui-ci est en proie à d'importantes difficultés financières : toujours à la fin juin, la Cour des comptes a publié un rapport dans lequel elle alertait sur l'impact des aides à l'embauche d'apprentis sur les finances publiques.
 
 

Doublement des dépenses



Prolongé jusqu'au 31 décembre 2022, ce dispositif permet aux entreprises recrutant un apprenti mineur de toucher une aide de 5.000 €, et de 8.000 € pour un majeur. La mesure est issue du plan "1 jeune, 1 solution", lui-même inscrit dans le cadre du Plan de relance lancé au sortir du premier confinement sanitaire du printemps 2020.

Avec 730.000 contrats signés dans 380.000 entreprises en 2021, contre 290.000 en moyenne par an avant la réforme, son succès semble indéniable. Selon l'exécutif, le chômage des jeunes aurait même atteint un plus bas historique depuis ces 40 dernières années : 70% des apprentis ayant débuté une formation en 2020 auraient décroché un poste dans les 12 mois suivant la fin de leur cursus.

Sauf que tout cela a un coût, et un coût non-négligeable pour les caisses de l'État. D'après la rue Cambon, les dépenses d'apprentissage auraient doublé l'année dernière, atteignant 11,3 milliards d'euros, une somme qui se répartit entre 5,3 milliards de financement des CFA et 4 milliards d'aides à l'embauche. La Cour des comptes avait par ailleurs dénoncé "une croissance du coût des formations par apprenti d'au moins 17% et des écarts injustifiés entre formations de même niveau et de même domaine".
 
-36% pour la prise en charge de la formation de peintre en bâtiment


Autrement dit, des acteurs ont dû abuser du système pour se faire une marge sur son dos. D'où la décision de France Compétences de procéder à ce coup de rabot. "Il s'agit à la fois de financer les contrats d'apprentissage au bon niveau et de contribuer à garantir la soutenabilité financière du système de formation professionnelle et d'apprentissage", plaide l'organisme.

Le tour de vis s'opèrera donc en deux temps : une première baisse "de l'ordre de 5% en moyenne" dès le 1er septembre prochain, et une deuxième ultérieurement, "du même ordre de grandeur que la première", "sous réserve" toutefois d'une analyse des comptabilités des CFA "au titre de l'exercice 2021".

Nombre de diplômes et de formations, et donc autant de métiers et de secteurs, pourraient en faire les frais. Et la construction n'y échappera pas : parmi les cursus en danger mais qui sont pourtant en pénurie de main-d'oeuvre, Le Journal du Dimanche cite le métier de peintre en bâtiment, qui verrait sa prise en charge dégringoler de 36%. Le magazine dominical affirme également que la contribution de l'État aux CFA diminuerait globalement de 10% à 64% en fonction du niveau de diplôme et des métiers. "En se montant moins généreux avec les établissements, l'exécutif espère réaliser 800 millions d'euros d'économie", ajoute l'hebdomadaire.
 

Une révision au cas par cas



L'inquiétude a évidemment saisi les acteurs de la formation professionnelle et de l'apprentissage, qui craignent que cette décision vienne plomber l'excellente dynamique des contrats - et donc de l'emploi des jeunes - depuis 2020. "Si la situation financière préoccupante de France Compétences ne saurait lui être imputée et doit être prise en compte, nous demandons que ces arbitrages ne soient pas rendus dans une logique purement comptable", a réagi Joël Fourny, à la tête du réseau des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA).

Pour les organismes de formation, seuls des financements garantis sur le long terme maintiendront les embauches d'apprentis à ce niveau, voire les feront encore progresser. D'autant que l'apprentissage constitue une réponse efficace aux difficultés de recrutement régulièrement dénoncées par les entreprises, notamment dans le bâtiment. Plus largement, CMA appelle "à trouver de nouveaux équilibres" entre l'alternance, les établissements scolaires et les universités, tout en réglant "la question des investissements".

Sur les niveaux de prise en charge des contrats, le réseau consulaire demande à ce que la révision ne soit pas "uniforme" et qu'elle prenne en compte "la valeur ajoutée pour l'emploi des jeunes", "les niveaux et les coûts réels de la formation", avec notamment les problématiques de l'Outre-mer et de l'inflation, et enfin la "préservation de savoir-faire parfois menacés de disparition". Quoi qu'il en soit, la rentrée s'annonce donc compliquée aussi pour les CFA de l'Hexagone.

Corentin Patrigeon (24/08/2022)