Dans le cadre de la loi dite "pour la liberté de choisir son avenir professionnel", portée par la ministre du Travail Muriel Pénicaud et votée par le Parlement à l'été 2018, les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) vont être remplacés par des Opérateurs de compétences (OPCO), des structures chargées d'assurer le financement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, d'élaborer une gestion prévisionnelle des emplois et de leurs compétences, et enfin de financer les plans de formation des PME-TPE. De fait, les organisations professionnelles représentatives sont tenues de signer au moins un accord les rattachant à un OPCO. Or le secteur du bâtiment semble se diviser sur le sujet : alors que la Fédération française du bâtiment (FFB) a signé l'accord pour l'OPCO de la Construction, la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) a préféré se rattacher à deux accords, d'un côté celui de la Construction, et de l'autre celui baptisé "Pepss" – Opérateur de compétences des entreprises de proximité et de ses salariés.
Dans une interview à Batiactu, Jean-Christophe Repon, trésorier adjoint de la Capeb, a explicité les raisons ayant motivé cette décision. Mais face à cette situation qui risque de fragmenter la profession, Jacques Chanut, le président de la FFB, a tenu à fournir également ses explications.
Batiactu : Pouvez-vous revenir aux origines de ce dossier ? Comment s'est constitué l'OPCO de la Construction ?
Jacques Chanut : L'Opérateur de compétences pour le secteur de la construction existe officiellement depuis le 1er janvier 2019. Il bénéficie pour l'heure d'un agrément provisoire, dans l'attente d'un agrément définitif qui sera délivré par le Gouvernement dans quelques mois. Mais il s'agit d'une structure en totale cohérence avec la loi, dont la mission sera de garantir le service le plus simple possible. La loi Avenir professionnel acte des modifications dans le financement des services aux entreprises : la délégation de service pour les sociétés de moins de 11 salariés, telle qu'elle est organisée actuellement, est supprimée. Notre but est dorénavant de faire appliquer la loi. Mais ce ne sont pas les grandes entreprises qui vont bénéficier du financement des petites ! Affirmer le contraire est une contre-vérité, qui relève soit de l'ignorance, soit de la mauvaise foi caractérisée. C'est un comportement mensonger, indigne de représentants patronaux.
Concrètement, de quelle manière vont désormais s'organiser les financements de la formation professionnelle pour le secteur du bâtiment ? Quelles sont les évolutions induites par la loi et par la mise en place de l'OPCO de la Construction ?
J. C. : A compter d'aujourd'hui, les financements sont fléchés en direction des entreprises de 1 à 50 salariés, ainsi qu'un accompagnement pour ces sociétés. Par rapport à la situation antérieure, nous supprimons la rémunération aux organisations professionnelles pour la fourniture de ce service, et on élargit ce service aux entreprises de 1 à 50 salariés. Car le but d'organisations comme la nôtre est de prodiguer un service syndical à nos adhérents. Sauf qu'auparavant, nous étions donc rémunérés en fonction du nombre de dossiers traités – une disposition annulée par le Gouvernement. Au niveau des taux de contributions pour la formation continue, ils sont de 0,35% de la masse salariale pour les structures de moins de 11 salariés, et de 0,20% pour les plus de 11. Ceci dit, nous voulons profiter de la mise en place de l'OPCO pour réfléchir à une cotisation vraiment conforme aux besoins des entreprises – comment expliquer cette différence entre 0,35% et 0,20% ? Comment expliquer que les TPE contribuent davantage que les plus grosses structures ? Il faut que les artisans paient le juste prix.
Comment percevez-vous l'arrivée de l'OPCO ? Quel pourrait être son impact sur la profession ?
J. C. : Les trois mots d'ordre de cet OPCO sont simplification, transparence et équité. Les traitements spécifiques que nous avons connu avant disparaissent au profit d'une logique globale. La philosophie de l'OPCO de la Construction est d'uniformiser le monde du bâtiment. Au final, c'est aux artisans de décider. Mais les agitations que l'on a pu constater ces derniers temps sont autant de signes étonnamment défavorables, et qui fragilisent notre secteur. Nous nous opposons à l'éclatement du bâtiment, d'autant que notre responsabilité, c'est de montrer aux interlocuteurs publics ce que nous valons. Il n'y a donc pas de place pour les batailles d'appareils.
Quelles sont les prochaines étapes ?
J. C. : Nous attendons les lettres d'agrément de l'Etat. D'ici là, l'OPCO de la Construction sera peut-être rejoint par des branches d'activité "orphelines". D'ores-et-déjà, les architectes et les négociants de matériaux de la construction ont signé leur rattachement à la structure. Ce qui est une excellente chose, car cela permet de créer une vraie logique, une vraie cohérence de filière. Concernant la répartition des postes d'administrateurs, et bien que la FFB soit la première organisation patronale représentative du bâtiment, la Capeb aura 4 sièges. Il y aura également 4 sièges pour les travaux publics, qui nous ont rejoint, sauf les carriers. Mais je tiens à dire qu'il n'y a pas eu l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre le bâtiment et les travaux publics sur ce sujet, car, encore une fois, c'est un sujet de responsabilité.
Quels vont être les grands chantiers de l'OPCO fraîchement institué ?
J. C. : Les sujets ne manquent pas. L'OPCO s'impliquera dans les projets et les financements, mais devra aussi s'atteler à la question de l'apprentissage : aujourd'hui, nous comptons environ 65.000 apprentis dans le bâtiment, ce qui est encore insuffisant. Comment faire pour accroître le nombre d'apprentis dans nos métiers ? Plus largement, la question centrale que doit se poser un OPCO, c'est comment accompagner les entreprises : quel est le juste prix de la formation professionnelle ? Il y a aussi des enjeux de simplification dans l'accès à l'information, à la numérisation et à la dématérialisation, ainsi qu'aux financements. Un autre sujet d'importance est celui du recrutement et de la qualification des salariés. Il faudra aussi parler de la transmission des savoirs, des compétences, et des entreprises elles-mêmes ! Dans notre activité, la transition énergétique constitue un sujet prépondérant, dont nous devrons également parler... Bref, il faudra arriver à faire tourner ce vaisseau amiral. 2019 sera assurément l'année de sa mise en œuvre.
Et vous, quelles sont vos attentes et vos objectifs par rapport à cette structure ?
J. C. : L'OPCO sera une organisation extrêmement polyvalente, grâce à tous les corps de métiers qui seront représentés. Pour autant, chacun restera dans son domaine de compétences, mais pourra partager sa gestion des flux financiers. Nous pourrons croiser les attentes des uns et des autres, sans souffrir d'un cloisonnement. Je tiens à une qualité de service prodiguée par l'OPCO, loin des guerres d'egos et de la recherche de financement pour du financement. Je ne veux pas d'un syndicalisme d'élus, de politiciens. Je le redis, on ne laissera pas le bâtiment se couper en deux.
D'une manière plus générale, quel regard portez-vous sur la conjoncture du bâtiment ? Et sur le contexte économique ?
J. C. : Ma seconde préoccupation après l'OPCO, c'est l'activité. Nous craignons une baisse à la fin 2019, mais cette tendance n'est pas inéluctable. En fait, on attend des mesures concrètes ! La décision commune du Medef, de la CPME et d'Action Logement de consacrer 9 milliards d'euros au logement et à la transition énergétique devrait engendrer environ 20 milliards d'euros d'activité pour notre secteur. Mais ce sont des financements privés ; or on attend de l'Etat qu'il soit dans la même logique. Le Gouvernement devrait écouter les propositions de la profession : le dispositif du Denormandie dans l'ancien est une très bonne chose, mais pourquoi pas réfléchir à l'élargissement du PTZ [Prêt à taux zéro, ndlr] pour les jeunes en zones sensibles, ou à l'élaboration d'un barème pour le CICE [Crédit d'impôt pour la transition énergétique, ndlr]. S'agissant du contexte économique, les taux d'intérêt constituent le paramètre le plus important pour notre secteur : tant qu'ils restent bas, c'est bon pour notre activité. Les besoins sont là, et tant que les politiques publiques en la matière seront incitatives, le marché répondra présent. Nous sommes le seul secteur à irradier l'ensemble du territoire, à prendre appui sur un maillage national. C'est une force. Mais ce n'est vraiment pas le moment de relâcher la pression, et d'inverser la dynamique.